Quetzal

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Le mot de l'auteur

Quetzal, ou quand les meeples s’envolent.

J’ai souvent remarqué qu’une bonne proportion des joueurs avec qui je joue utilisent le matériel de jeu devant eux pour s’amuser, en attendant que leur tour arrive. Vous l’aurez certainement aussi vu : joliment aligner tous ses trains aux Aventuriers du Rail ou tout simplement empiler ses cubes ou autres meeples pour tenter l’acrobatie improbable. C’est de ce premier constat empirique que les premières idées de Quetzal ont germé. À partir d’une action agréable (qui restait encore à trouver), divertissante à réaliser en elle-même, se cacherait peut-être une opportunité de jeu. Dans mon processus créatif, il faut savoir que j’incarne le plus souvent un explorateur qui ne peut prévoir à l’avance la nature de ses découvertes, plutôt qu’un logicien guidé par un planning. Ceci est surtout vrai pendant les phases initiales de recherche conceptuelle, et c’était le cas lors des débuts de Quetzal.

Je me lançais ainsi un défi, celui de trouver un mécanisme inexistant (à ma connaissance), basé sur une action universellement accessible et fun à exécuter, avec pour base le matériel de jeu lui-même. Il était temps d’ouvrir ma « boîte magique » qui contient plus de 1 000 éléments de jeux amalgamés et qui avait tout ce dont j’avais besoin pour ma prospection. Logiquement, des dés, des cubes et des pions de toute sorte m’ont permis toute une variété d’essais à l’emporte-pièce, mais je sentais qu’instinctivement je bloquais sur l’aspect « rangement/disposition » qui ne me convainquait pas suffisamment car j’estimais qu’explorer ce filon m’emmènerait probablement sous les pas du très bon Meeple Circus qui exploite déjà cette dynamique. J’ai ainsi pris le problème à l’envers et je me suis demandé quel matériel de jeu courant semblait être utilisé le plus souvent de la même façon. Trouver cet élément et « twister » son utilisation serait d’autant plus surprenant car cela renverserait quelques codes et génèrerait un petit effet de surprise. C’est alors que ces meeples sur la table ont agité leurs petits bras pour me dire qu’ils en avaient un peu marre de n’être utilisés que pour occuper des cases sur un plateau. J’ai alors rangé tout le matériel dans la boite, à l’exception de quelques meeples. Et je suis parti découvrir quelles sensations agréables ils pourraient encore nous offrir. Le lancer de meeples fut un des actes les plus naturels qui s’ensuivit. L’objectif de les faire tomber debout était en soi incertain et fun à réussir. Il semblait suffisamment aléatoire pour qu’un joueur plus agile n’ai pas un avantage sur ses adversaires. J’avais probablement découvert ce que je cherchais sans le prévoir et les meeples avaient littéralement pris leur envol pour se transcender ! Mais soyons honnêtes, je n’avais pas encore un jeu, juste une petite matrice autour de laquelle pouvoir en faire évoluer un.

L’étape suivante a été en soi plus cadrée, car je devais savoir à quoi pourraient servir ces meeples couchés, debout ou sur la tranche. Lancer ces meeples relevait d’un élément déjà familier, proche mais différent d’un lancer de dés. Et les dés, générateurs d’aléatoire par excellence plutôt consensuels sur leur intérêt ludique, le sont probablement un peu moins dû à leur capacité à bouder un joueur à cause de leur variance (chaque face d’un D6 n’a ainsi environ que 17 % de chance de s’afficher sur un lancer). Les meeples n’ont que deux faces, alors leur attribuer une « valeur » fixerait à 50 % la probabilité de sortie d’une face. Mes meeples devraient se comporter comme des dés plus stables, avec un effet fun et unique lié à la réussite de les faire tomber debout. Sur la tranche et debout, afin d’augmenter encore le contrôle sur les lancers de meeples, ce serait le joueur qui choisirait sur quelle face les laisser.

J’ai ainsi construit deux moutures de jeu qui ne menèrent nulle part avec le lancer de meeples comme moteur de « ressources ». Une troisième tentative a mérité un peu plus d’attention. L’univers évoluait dans un parc d’attractions avec cinq grandes attractions, et nos meeples étaient des visiteurs (enfants ou adultes), qui obtenaient des tickets pour ensuite faire un tour sur les attractions. Plus grands étaient les groupes, plus vite ils avaient accès aux tickets et à l’attraction convoitée. Il y avait ainsi un mode « enchère » avec nos meeples, afin de garantir la première place. Mais il fallait payer plus de meeples pour garantir cette place, ce qui faisait en sorte que le système soit à la fois tendu et interactif. Comme les meeples lancés sont soit d’un type ou de l’autre, personne n’avait de pénurie sur les deux couleurs au même temps ! Ainsi, la valeur générée par les lancers de chacun était équivalente, seulement elle était répartie différemment sur les deux possibilités. Ce système semblait bien fonctionner avec les testeurs et fut un des grands axes de développement à perfectionner. D’autres axes de jeu, comme les collections, furent développés en parallèle pour une expérience de jeu sensée. Je ne rentre pas dans les détails de cette version qui se nommait Toboggan (car certaines cases permettaient de lancer un meeple et de voir si à la sortie du toboggan l’enfant était debout), et que j’ai présenté à Gigamic au BGF (Bruxelles) en 2018. Pour info, les premières idées et itérations sur ce jeu remontent à août 2017. S’ensuivirent l’appropriation du jeu par la Gigamic Team, le contrat d’édition, plusieurs propositions d’adaptation mécanique ainsi que le changement de thématique. Tous les échanges avec Gigamic furent sereins et discutés, testés de part et d’autre, et pesés à nouveau avant de les valider définitivement. La base de jeu reste toujours celle du prototype l’origine, mais s’est améliorée progressivement, en lissant tous les petits points d’accroche. Nous avons avancé ensemble vers la version finale, qui est remarquablement habillée par Nastya Lehn aux pinceaux. Je suis séduit par son style et la boite de jeu, tout comme le plateau de jeu, sont des œuvres d’art qui régalent mes yeux ! Le travail d’édition de Gigamic est remarquable, et Quetzal et ses meeples peuvent sereinement prendre leur envol !